Paracha Vayéchev : pourquoi sacrifier Joseph ?

Joseph est le onzième fils de Jacob et le premier-né de Rachel.

Joseph est né à Haran, ville araméenne, où s’était retiré son père, Jacob. Après avoir passé son adolescence en terre de Canaan avec sa famille, il s’est retrouvé exilé en Égypte, malgré lui, et jusqu’à la fin de ses jours. En Égypte, Joseph a connu la prison et les plus grands honneurs auprès de Pharaon.

Joseph est un personnage important de la Torah. Il relie l’époque d’Abraham et de sa proche descendance, à l’époque ultérieure de la libération des hébreux, conduite par Moïse.

La paracha Vayéchev nous conte les mésaventures de Joseph. Elle nous conduit aussi à nous interroger sur la valeur de la vie humaine et sur la prise de risque individuelle.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vayéchev du sefer Béréchit (Genèse) 37:1 à 40:23 et le « sacrifice » de Joseph

Nous tenons beaucoup à la vie, certes; mais jusqu’à quel point, et à quel prix ? Le Talmud Yoma, dont le principal objet est la pratique de Yom Kipour, aborde ce sujet qui est repris spécifiquement par l’expression rabbinique « PikouaH néfech » (פיקוח נפש) signifiant « Surveillance, protection de la vie humaine ».

La règle de « PikouaH néfech » indique que la préservation de la vie humaine l’emporte sur pratiquement toute les autres considérations religieuses.

Font exceptions, les trois interdictions suivantes : l’idolâtrie flagrante, l’inceste et l’adultère et le meurtre d’une personne qui ne menace pas notre vie.

Savoir, ou simplement supposer, que notre vie a un sens, est nécessaire à notre plaisir de vivre et à notre équilibre. Nous tenons instinctivement à la vie, et il nous est difficile de savoir réellement en quelles circonstances nous serions prêts à la mettre en jeu, à nous sacrifier.

Cette question est au cœur de la paracha Vayéchev. En la lisant nous avons le sentiment que, d’une certaine façon, Israël (Jacob) a sacrifié Joseph, ou bien que Joseph s’est lui-même sacrifié. Dans le parcours de vie de Joseph, rien n’est simple.

Commençons par commenter le verset suivant de la Genèse :

Béréchit 37:3. Or Israël [Jacob] aimait Joseph davantage que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse; et il lui avait fait faire une longue chemise [tunique] à rayures.

Israël aime particulièrement Joseph. Il aime bien-sûr ses autres enfants, mais pas de la même façon. Israël souhaite différencier Joseph de ses autres enfants, et pour le distinguer matériellement il lui fait porter une tunique à bandes de couleurs différentes.

Pourquoi cette préférence ? Il est peut-être commun parmi les parents de préférer l’un ou l’autre enfant, ou en tout cas de reconnaitre leur diversité et les qualités particulières de l’un ou de l’autre. On peut également penser que la préférence de Jacob s’explique du fait de la préférence qu’il a justement pour Rachel, la mère de Josèphe, qu’il a profondément aimée.

Mais nous devons voir plus loin. Israël a eu de nombreux enfants de quatre femmes différentes. Certains commentateurs pensent que la tunique bariolée de Joseph est l’image d’un rassemblement d’identités multiples. Joseph serait donc l’enfant le plus apte à faire l’unité auprès de lui, à rassembler tous les enfants d’Israël (Jacob) au-delà de leur diversité.

Ce n’est pas ce qui va se passer dans un premier temps. Le fait de distinguer Joseph, le sépare des autres enfants et provoque leur jalousie. En le distinguant, Israël met Joseph en situation de risque. C’est pour cela qu’on peut se demander s’il le « sacrifie » sciemment.

(Cet épisode de la Torah nous fait bien prendre conscience que quiconque proteste, lève la tête, se révolte individuellement pour défendre une cause, prend des risques personnels importants. Se démarquer de la « masse » est parfois dangereux.)

Une alliance s’est constituée entre Israël et Joseph dans la recherche de l’unité et de la paix. Israël « sacrifie » Joseph en le chargeant d’établir l’unité de sa descendance. Israël sait que Joseph devra affronter la haine terrible qui s’est installée envers lui, et Joseph est tout à fait conscient de ce défi.

Béréchit 37:4. Quand ses frères virent que leur père l’aimait de préférence à eux, ils le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler dans la paix.

Israël et Joseph sont en situation de prise de risque conjointe dans le dialogue suivant :

Béréchit 37:13 à 37:14. Par la suite Israël dit à Joseph: « Tes frères font paître les troupeaux près de Sichem, n’est-ce pas? Viens, je veux t’envoyer vers eux. » Joseph répondit: « Je suis prêt »… Israël reprit: « Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail et rapporte m’en des nouvelles. » Ainsi, il l’envoya de la plaine d’Hébron et Joseph se rendit à Sichem.

De façon concise, voici ce qui se passe ensuite : courageusement Joseph part à la recherche de ses frères. Il rejoint ses frères qui le dépouillent aussitôt de sa tunique bariolée, puis le jettent dans un puits vide. L’un des frères propose de vendre Joseph à une caravane d’Ismaëlites qui s’approche. Mais des marchands Midianites, qui passent par là, tirent Joseph du puits et le vendent aux Ismaëlites qui décident d’emmener Joseph avec eux en Égypte. Par la suite, les Midianites reprendront Joseph et le vendront comme esclave à Potiphar, officier de Pharaon.

Cet événement a été l’objet d’un commentaire de Rachi. Selon Rachi, le mot « passim » -פַּסִּים- de l’expression « kétonet passim » -כְּתֹנֶת פַּסִּים- (tunique bariolée) est porteur de sens. Il présage des dangers auxquels Joseph est exposé : pé de passim (Potiphar dont l’épouse mettra Joseph en grand danger), sameH de soHarim (les marchands), youd de Yichmaélim (les Ismaëlites), mèm de Midianites.

Après coup, les frères de Joseph trempent la tunique bariolée (celle qui devait symboliser l’unité) dans le sang d’un bouc et la font porter à leur père, Israël.

La suite dans les versets suivants :

Béréchit 37:33 à 37:36. Il la reconnut et s’écria: « La tunique de mon fils! Une bête féroce l’a dévoré! Joseph a sûrement été mis en pièces! »…Et Jacob [Israël] déchira ses vêtements, mit un cilice sur ses reins et porta longtemps le deuil de son fils…Tous ses fils et toutes ses filles se mirent en devoir de le consoler, mais il refusa toute consolation et dit: « Non! Je rejoindrai, en pleurant, mon fils au Shéol! » Et Jacob [Israël] continua de le pleurer…Quant aux Midianites, ils vendirent Joseph en Égypte à Potiphar, officier de Pharaon, chef des gardes.

Le chagrin et l’espoir d’Israël (Jacob)

Le chagrin et la douleur se sont emparés d’Israël après la disparition de Joseph; mais l’espoir est toujours là, malgré les apparences.

Selon Rachi, le grand-père Isaac a la quasi certitude que Joseph est toujours en vie. Il semblerait qu’Israël ne soit pas véritablement en deuil, mais plutôt en situation de doute quant à la mort de son fils. On peut penser que ses troubles s’apaisent légèrement et il se crée une communication par la pensée entre lui et Joseph, une continuité de leur alliance, en remplacement du contact direct.

Jacob savait le risque qu’il prenait en envoyant Joseph vers ses frères, il n’a pas vu la dépouille de Joseph, l’attitude de ses fils doit sans doute d’une façon ou d’une autre refléter leur sentiment de culpabilité. Ces fait, en plus de sa capacité prophétique, donnent certainement à Jacob des indications à propos du sort de Joseph et de l’avenir de sa descendance.

Israël se sent encore relié à Joseph par la finalité de leur alliance. En dépit des événements, il garde en lui l’espoir de la paix et de l’unité autour de Joseph, dans un nouveau cadre. Unité indispensable à l’existence de ce qui deviendra son peuple, le peuple Juif.

Jacob et Joseph n’ont sacrifié personne. Ils ont pris un risque calculé. Peut-être, qui sait, l’unité des frères pourra avoir lieu dans l’avenir.

Dans la vie, les moments d’incertitudes ne sont pas faciles à vivre. Il est important néanmoins de mettre toutes les chances de son côté, quitte à prendre des risques. Jacob et Joseph nous en donnent l’exemple.

Paracha VayichlaH : quelle est la recette de la paix ?

Il y a plus de vingt ans, sur les conseils pressants de sa mère Rébecca, Jacob quittait Béer-shéva pour rejoindre la ville de Haran où résidait son oncle Laban.

Jacob a pris pour épouses Léa et Rachel, les filles de Laban. Il est père de nombreux enfants dont les mères sont Léa et Rachel, ainsi que leurs servantes, Zilpa et Bilha.

La situation devient conflictuelle, alors Jacob décide de retourner dans sa famille d’origine, en terre de Canaan. Se pose la grave question de la rencontre avec son frère Ésaü, qui a songé à le tuer peu avant son départ. Les retrouvailles seront-elles violentes ou pacifiques? Malgré tout, Jacob prend le chemin du retour avec femmes et enfants.

La paracha VayichlaH nous décrit les moments forts de la rencontre entre Jacob et Ésaü et nous montre de quelle façon Jacob est devenu Israël.

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La paracha VayichlaH du sefer Béréchit (Genèse) 32:4 à 36:43 et la confrontation à haut risque

Difficile de vivre avec un poids sur la conscience. En particulier, quand on est convaincu de devoir régler de douloureux problèmes du passé.

Jacob est face à cette question quand il décide de revenir en terre de Canaan, prêt à affronter les risques liés à cet acte. Jacob est angoissé à l’idée de se retrouver face à Ésaü. Le moment tant redouté  va bientôt arriver.

La tactique de Jacob est de procéder par étapes successives, dans le but de garder la maîtrise des événements. La première étape est l’envoi de messagers (« malaHim ») en reconnaissance, là où se trouve Ésaü.

Béréchit 32:4. Jacob envoya des messagers [malaHim] en avant, vers Ésaü son frère, au pays de Séir, dans la campagne d’Édom.

Les « malaHim » (מַלְאָכִים), les messagers de Jacob, sont des hommes envoyés en éclaireurs ? Le mot désigne parfois également des messagers divins, des « anges ». Telle est d’ailleurs l’opinion de Rachi. L’ambiguïté du terme « malaHim » est intéressante car d’une certaine façons, les messagers humains que nous sommes transmettent également des enseignements moraux et spirituels.

Les « malaHim » rapportent à Jacob qu’Ésaü a pris les devants. Il est en route, à la rencontre de Jacob, fortement accompagné.

Béréchit 32:7. Les messagers revinrent près de Jacob, en disant: « Nous sommes arrivés vers ton frère Ésaü. Lui aussi vient à ta rencontre, et avec lui, quatre cents hommes. »

À cette information, Jacob est saisi de frayeur et prend une initiative qui est détaillée dans les versets suivants :

Béréchit 32:8 à 32:9. Alors, Jacob eut grand-peur et fut plein d’anxiété. Il divisa en deux camps ses gens, le petit bétail, les bovins et les chameaux…Se disant: « Si Ésaü attaque l’un des camps et le met en pièces, le camp restant deviendra une ressource. »

Cette division de la famille, des personnes qui l’accompagne, et des biens, peut être interprétée comme une limitation des risques. Mais elle revêt une apparence fébrile, non réfléchie et trop fataliste. Jacob est-il vraiment certain qu’Ésaü et ses hommes le mettront en pièces, lui et ses proches ?

(Ce partage en deux nous fait penser au terme « yaHats », de la Hagada de PessaH, qui désigne le moment de la brisure de la matza en deux morceaux, lors du Seder.)

Seconde étape : Jacob fait appel à ses forces morales. Il se tourne vers l’Éternel et prie en évoquant l’Alliance :

Béréchit 32:10. Puis Jacob dit « O Dieu de mon père Abraham et Dieu d’Isaac mon père! Éternel, toi qui m’as dit: ‘Retourne à ton pays et dans ta parenté et je te comblerai.’ »

Troisième étape :  les cadeaux de Jacob à Ésaü – suivons le cours des versets de la Torah.

Béréchit 32:14. Il établit là son gîte pour cette nuit et il choisit, dans ce qui se trouvait en sa possession, un don pour Ésaü son frère.

Jacob vient d’avoir l’idée d’approcher son frère par la paix en lui offrant des présents (du gros et du petit bétail). Ces présents apaiseront-ils suffisamment Ésaü ? La façon de les offrir a peut-être plus d’importance que la valeur matérielle. Jacob en a conscience. Il décide de faire parvenir immédiatement ses cadeaux à Ésaü d’une façon subtilement élaborée :

Béréchit 32:17 à 32:21. Puis il remit à chacun de ses serviteurs une part du troupeau et il leur dit: « marchez en avant et laissez un intervalle entre votre part du troupeau et la suivante. »…Il donna au premier l’ordre suivant: « lorsqu’Ésaü, mon frère, te rencontrera et te demandera: ‘à qui es-tu? où vas tu? et à qui est le bétail qui te précède?’…Tu répondras: ‘à Jacob ton serviteur, et ceci est un don envoyé par lui à mon seigneur Ésaü; et Jacob lui même nous suit.’ »…Il ordonna de même au second, de même au troisième, de même à tous ceux qui conduisaient les troupeaux, en disant: « c’est ainsi que vous parlerez à Ésaü quand vous le rencontrerez…Et vous direz: ‘voici que lui-même, ton serviteur Jacob, nous suit car il s’est dit: « je veux l’apaiser par le présent qui me devance, ensuite je verrai son visage, peut être sera-t-il bienveillant pour moi. »

La tactique de Jacob est d’envoyer les présents par vagues successives, de façon à impressionner favorablement Ésaü et le rendre de plus en plus confiant en sa volonté de paix. En même temps, Jacob prend des dispositions pour s’isoler :

Béréchit 32:22 à 32:24. Le présent défila devant lui et lui, demeura cette nuit là dans le camp…Plus tard, dans la nuit, il se leva et prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants et traversa le gué du Yaboc…Puis il les aida à traverser cette rivière et fit aussi traverser ce qui était à lui.

Quatrième étape : Jacob se retrouve seul, et un événement étrange se produit.

Béréchit 32:25 à 32:29. Jacob resta seul et un homme se mit à lutter avec lui jusqu’à l’aube…Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, il lui pressa la cavité de la cuisse, et la cuisse de Jacob se démit…Il dit: « laisse moi partir, car l’aube est venue. » Jacob répondit: « je ne te laisserai pas partir avant que tu ne m’aies béni »…Il lui dit alors: « quel est ton nom? » Il répondit: « Jacob »…Alors il dit: « Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu as vaincu. »

Ce passage énigmatique de la Torah nous interpelle. Contre qui Jacob a-t-il lutté, un ange, une représentation de son frère Ésaü, certains aspects de sa propre personnalité ou Dieu sous une apparence humaine ? La logique voudrait que l’on privilégie l’hypothèse d’un ange, messager de Dieu.

Jacob devient Israël, « celui qui a combattu avec Dieu et qui a vaincu. » Le terme « Israël » est aussi à rapprocher du terme « Yachar-el » signifiant « qui est droit avec Dieu ».

Les étapes franchies par Jacob sont-elles les étapes de la paix intérieure ?

Au-delà des étapes qu’il a dû franchir, Jacob s’est retrouvé transformé et en paix avec lui-même. L’étape fondamentale est certainement celle du travail intérieur que Jacob a été contraint d’opérer.

Revenons sur la lutte entre Jacob et « un homme ». La relation d’Alliance avec Dieu n’inclut-elle-pas une part de lutte avec nous-même et avec notre environnement ? Lutte au-delà de laquelle nous trouvons en général la paix. Par ailleurs, la lutte entre Jacob et « un homme » n’a-t-elle pas aussi inspiré nos relations avec autrui, quand la plupart des confrontations se concluent par un rapprochement, un accord pacifique ?

Ceci est à étendre à la prise en charge de nos difficultés personnelles du passé, celles qui ont encore prise sur nous, pour mieux les analyser, les résorber et ne plus les craindre.

Paracha Vayétsé : comment trouver un sens à sa vie ?

Comment trouver un sens à sa vie ? Cette question est probablement inhérente à l’être humain.

L’expression « sens de la vie » désigne l’interrogation sur l’origine, la nature et la finalité de l’existence. Le troisième point en est l’élément majeur. De nombreux courants intellectuels, philosophiques, religieux, et même scientifiques, se sont emparés du sujet pour le traiter chacun à leur manière.

Le professeur Jean Grondin (1955-), spécialiste du domaine de la pensée, en parle comme du socle de la philosophie.

Jacob, fils d’Isaac, s’est posé cette question dans une situation critique d’isolement moral, spirituel et physique. La paracha Vayétsé aborde sa quête de sens par la parabole de « l’échelle de Jacob ».

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La paracha Vayétsé du sefer Béréchit (Genèse) 28:10 à 32:3 et l’échelle de Jacob

Dans son milieu familier, Jacob est un homme simple, se contentant de peu, ayant une vision idéaliste du monde et prenant plaisir à rester paisiblement proche des siens. Les relations avec son frère Ésaü sont conflictuelles. À un moment donné, Ésaü prend la décision de le tuer. Alerté par sa mère, Rébecca, et suivant ses vifs conseils, Jacob décide de quitter le foyer.

De la sorte, Jacob voit son univers familier s’écrouler. Il doit partir vivre loin. Sa mère, Rébecca, ne sera plus là pour le protéger. Le sens de sa vie est totalement bouleversé. Jacob quitte Béer-Shéva pour Haran. Il marche et se retrouve dans le désert. Le soir venu, il s’arrête pour dormir à même le sol.

Béréchit 28:10 à 28:11. Jacob sortit de Béer-Shéva et alla vers Haran…Par la suite, il arriva dans un endroit où il se posa pour passer la nuit car le soleil s’était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, la mit en support de sa tête, et se coucha en ce lieu.

[A noter, dans le texte hébreu, une succession de lettres « vav » (ו) signifiant « et » en français. Ce qui traduit un enchaînement hâtif d’actions. Vayétsé (וַיֵּצֵא) = il sortit, vayéleH (וַיֵּלֶךְ) = il alla, vayalen (וַיָּלֶן) = il se posa, vayikaH (וַיִּקַּח) = il prit…etc.]

Donc Jacob fait une pause, s’allonge, s’endort et rêve :

Béréchit 28:12 à 28:13. Alors il fit ce rêve: une échelle se trouvait placée sur la terre, son sommet atteignait les cieux, et des anges, messagers de Dieu, montaient et descendaient le long de cette échelle…Et voici que l’Éternel apparut au-dessus d’elle et dit: « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham ton père et d’Isaac; cette terre sur laquelle tu es couché, je vais te la donner à toi et à ta postérité. »

Cette échelle ancrée en terre et allant jusqu’aux cieux est l’image de notre capacité à nous élever, étape après étape. En d’autres termes, elle est l’image de la progression de notre conscience, du plus bas au plus haut et du plus près au plus loin.

« L’échelle de Jacob » représente un développement et une montée spirituelle par échelons. Ainsi, une prière s’élève de la terre vers le ciel, sachant que le but à atteindre est Dieu qui se tient au-dessus de l’échelle.

La pause nocturne de Jacob dans son parcours, est considéré comme l’événement fondateur de la prière du soir, la prière d’Arvit.

Par ailleurs, cette échelle inspire le fond et la forme des offices. Prenons l’exemple de celui du matin. Ce sont d’abord les bénédictions, actes de reconnaissance les plus concrets, puis les pesouké dé-zimra (versets du chant) qui sont une reprise de contact avec le monde extérieur, puis le Chema Israël qui nous rappelle notre rôle dans le monde, et ensuite la Amida, la prière la plus proche des cieux, par laquelle le sens de notre vie est abordé.

Le jour venu, Jacob se réveille en ayant encore son rêve en tête. Il est alors saisi de stupeur, d’effroi, et prend conscience de l’objet de son rêve et de la sacralité du lieu. Il demande la protection divine et demande à Dieu de s’inscrire dans l’alliance. Jacob apprivoise une nouvelle façon de donner un sens à sa vie, qui continuera d’évoluer lors des prochaines étapes.

Béréchit 28: 16 à 28: 17. Jacob se réveilla et s’écria: « en vérité, l’Éternel est en ce lieu et moi je l’ignorais »…Et, saisi de crainte, il ajouta: « Que ce lieu est redoutable! Ce n’est rien d’autre que la maison de Dieu et c’est ici la porte des cieux. »

Cela nous fait penser à l’une des bénédictions du matin.  Nous louons l’Éternel car : « il réveille ceux qui sont somnolents ».

Le rêve de Jacob est révélateur de l’importance de l’interprétation des événements, quelquefois mineurs comme de simples rêves, sur le sens de notre vie. Citons le Talmud BraHot, p.45. Rabbi Ben Aha déclare qu’il a fait un rêve et qu’il a consulté 24 interprétes de rêves à Jérusalem. D’après le Talmud, ces derniers lui ont donné 24 interprétations différentes de son rêve qui se sont toutes réalisées. Rabbi Ben Aha en a tiré cette formule proverbiale : « tous les rêves suivent la bouche », c’est à dire qu’ils suivent l’interprétation qu’on leur donne.

Faire une longue pause pour réfléchir au sens de notre vie

L’exemple de Jacob est-il à suivre totalement ? Devons-nous nécessairement changer le cadre de notre existence pour nous interroger sur le sens de notre vie, pour le faire évoluer, ou tout simplement pour le découvrir ? Ce n’est pas certain.

Retenons d’abord que Jacob a découvert le véritable sens de sa vie en interrompant ses activités, en faisant une longue pause. La démarche de Jacob a été involontaire. Elle a abouti au travers d’un rêve nocturne, mais elle a quand même abouti. Trouver le sens de sa vie, c’est d’abord s’interroger à ce sujet et prendre le temps de réfléchir.

Revenons au point de départ. Que signifie vraiment « le sens d’une vie » ? Le sens de notre vie nous est-il imposé, ou est-ce à nous de le concevoir ? Quelle sont nos parts de liberté et de soumission dans la nature du sens de notre vie ? Vaste question psychique.

Les thèses les plus récentes sont orientées vers la prise de responsabilité du sens de la vie. Référons-nous au professeur de neurologie et de psychiatrie Victor Frankl (1905 – 1997), créateur de la logothérapie.

Victor Frankl, rescapé de la shoah, a constaté avec étonnement, lors de son internement à Auschwitz, que les plus robustes, ceux qui étaient le plus dans l’action, étaient les premiers à mourir, tandis que ceux qui paraissaient les plus faibles résistaient beaucoup plus longtemps. Face à l’insensé, les plus fragiles avaient développé une vie intérieure qui laissait une grande place à l’espoir et au sens.

Ce constat a été le point de départ de l’élaboration de la logothérapie. Celle-ci postule que tout être humain est doté d’une motivation primaire, l’orientant d’instinct vers le sens de sa vie. Comme pour d’autres thérapies centrées sur la personne, c’est au patient/client de découvrir le sens de sa vie. Le thérapeute soutient ce processus en lui proposant différents outils.

Que penserait Jacob, aujourd’hui, de la logothérapie ? Nous-même, aujourd’hui, comme Jacob hier, utilisons les événements de nos vies et les outils d’analyse qui sont à notre disposition pour chercher toujours mieux le sens de notre existence.

Paracha Toledot : fratritude ou fraternité ?

Le terme « fraternité » nous est familier, le terme « fratritude » nous l’est beaucoup moins. La « fratritude » est un concept élaboré depuis peu par le Docteur Philippe Caillé, spécialiste en thérapie systémique.

La « fratritude » est simplement le fait d’appartenir biologiquement à une fratrie, de façon naturelle, non voulue et indépendante du comportement. Le terme « fratritude » est du même type que le terme « négritude » d’Aimé Césaire.

Le terme « fraternité » a un sens très différent. C’est le fait de développer volontairement, dans un groupe humain, un comportement de bienveillance, de solidarité, de cohésion dans le respect de l’individualité, en attachant peu d’importance aux liens de parenté.

À nous, maintenant, de faire la jonction avec la paracha Toledot dont le cœur du sujet repose sur les relations fraternelles complexes entre Ésaü et Jacob, fils jumeaux d’Isaac et de Rébecca.

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La paracha Toledot du sefer Béréchit (Genèse) 25:19 à 28:9 et les tourments de Rébecca

« Toledot » (תּוֹלְדֹת) qui signifie « l’histoire » a la même racine que « naissance » et « enfant » (ילד).

Comment naissons-nous en tant qu’individu, en tant que groupe humain et en tant que peuple ? La paracha Toledot aborde le principe de naissance. C’est la naissance de la troisième génération : Jacob et Ésaü, les deux enfants d’Isaac et Rébecca qui ont succédé à Abraham et Sarah. Toledot est la tentative de naissance d’un peuple à travers cette troisième génération.

Jacob et Ésaü vont-ils être les bâtisseurs d’un peuple uni, ou bien la division l’emportera-t-elle, comme cela s’est passé au cours des générations précédentes? Entre Jacob et Ésaü, la fratritude cédera-t-elle la place à la fraternité ?

Béréchit 25:21 à 25:23. Isaac implora l’Éternel au sujet de sa femme parce qu’elle était stérile. L’Éternel accueillit sa prière et Rébecca, sa femme, devint enceinte…Comme les enfants commençaient à lutter entre eux dans son ventre, elle dit « s’il en est ainsi, à quoi suis-je destinée! » La-dessus elle alla interroger l’Éternel…L’Éternel lui dit: « deux nations sont dans ton ventre et deux peuples sortiront de tes entrailles; un peuple sera plus puissant que l’autre et l’aîné servira le cadet. » 

Interprétons les versets précédents. Rébecca est enceinte de deux jumeaux, mais elle ne le sait pas encore. La vie s’agite fortement dans son ventre et elle cherche à en connaître la raison. En prenant le contresens de l’allégorie, nous pouvons dire que différentes identités, différentes personnalités se heurtent en son sein. Rébecca se sent perdue et demande à l’Éternel de l’éclairer. En se référant à la naissance de deux peuples, Dieu lui annonce la naissance de jumeaux.

En effet, deux enfants naissent.

Béréchit 25:24 à 25:26. L’époque de sa délivrance arrivée, il se trouva qu’elle portait des jumeaux…Le premier qui sortit était entièrement roux et tout son corps était pareil à une pelisse; on lui donna donc le nom d’Ésaü…Ensuite naquit son frère tenant de la main le talon d’Ésaü et on le nomma donc Jacob. Et Isaac avait soixante ans lors de leur naissance.

Les jumeaux sont et resteront très différents, à l’image de deux polarités de signe opposé. À la naissance, Ésaü est roux et très velu, alors que Jacob est glabre. Le temps passe. Ésaü devient un homme des champs aventureux, aimant la chasse. Jacob, lui, devient un homme simple, raisonnable, prenant plaisir à rester sous la tente. Ainsi, les personnalités d’Ésaü et de Jacob évoluent pour un temps dans la divergence. Il se fait qu’Isaac préfère Ésaü, alors que Rébecca préfère Jacob, pour des raisons à développer dans un autre commentaire de paracha.

Les mystères de la personnalité humaine

Dans la paracha Toledot, le thème de deux personnalités distinctes qui se heurtent tout en étant susceptibles de se compléter, est omniprésent. Ne serait-ce pas une représentation des divers aspects de la personnalité d’un seul individu ? Les deux jumeaux se confrontent dans le ventre de Rébecca et se retrouvent plus tard, comme les composantes d’une seule personnalité qui s’opposent dans un premier temps, puis se rejoignent.

L’ouvrage « Psychanalyse des contes de fées » (1976), du psychologue américain Bruno Bettelheim, apporte son concours à la compréhension de notre paracha. Il évoque dans le « thème des deux frères », une fratrie composée de deux frères que tout oppose mais qui sont obligés de s’adapter l’un à l’autre. L’un d’eux représente la tendance à rester fidèle à la famille, à être casanier, comme l’était Jacob, alors que l’autre représente la tendance à revendiquer rapidement l’indépendance pour partir à l’aventure, tout comme Ésaü. Bettelheim invite à considérer ces deux frères, qui doivent vivre ensemble, comme les deux aspects différents d’une même personnalité. Ces deux aspects opposés, besoin de rester attaché à un passé rassurant et désir d’aller vers un avenir incertain, résident en chacun d’entre nous en proportion variable. Il nous est impossible de trouver notre équilibre mental si l’un d’eux vient à manquer totalement.

Revenons à la paracha. Les choses ont évolué. Jacob cherche à acquérir les éléments nécessaires à l’entièreté de sa personnalité, mais aussi à sauver sa vie. Après que son frère ait envisagé de le tuer, il quitte les tentes, à la demande de Rébecca, et part pour longtemps en direction de la ville de Haran. Ésaü, quant à lui, se sent mal aimé et s’unit à une épouse supplémentaire, davantage en rapport avec les vœux de ses parents. Jacob et Esaü vont ainsi, sans en être vraiment conscients, à la rencontre de leur équilibre psychologique. Jacob, en quittant la tente, Esaü en se mariant, en fondant un nouveau foyer plus proche de la pensée de la famille dont il est issu.

De ce qui précède nous déduisons que pour nous sentir intérieurement bien, nous devons demeurer entier, au sens de l’acceptation des différentes parts de notre personnalité.

Cela jouera sur nos relations avec autrui. Celles-ci seront plus transparentes, plus justes, plus fraternelles. De la sorte, nous accéderons à une meilleure compréhension des problèmes qui ne sont pas les nôtres. Alors, oublions la fratritude et prenons le chemin de la fraternité. Nous n’en tirerons que satisfaction et profit sur le plan moral.

Paracha Hayé Sarah : combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ?

Pendant encore combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ? Tout au long de l’histoire, de jeunes personnes, au plus fort de leurs capacités physiques et morales, sont parties combattre et se sacrifier pour leurs aînés, leurs clans ou leurs nations.

Le sacrifice d’Isaac est d’un tout autre type, mais il nous conduit quand même à nous poser cette question sur un plan général.

Isaac n’est pas mort, mais sa mère Sarah est littéralement morte d’angoisse à l’idée de le perdre. Pourquoi « Dieu » aurait-il permis une telle chose?

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Hayé Sarah du sefer Béréchit (Genèse) 23:1 à 25:18 et les vies de Sarah

Béréchit 23:1 à 23:2. Et la vie de Sarah fut de cent vingt-sept années; telle fut la durée des années de la vie de Sarah…Sarah mourut à Kiriath-Arba, c’est à dire à Hébron, dans le pays de Canaan. Abraham y vint pour se lamenter sur Sarah et la pleurer.

Le midrach raconte que Sarah est morte suite au départ d’Abraham et d’Isaac. Sarah mourut avant Abraham. Elle fut admirable et irréprochable pendant toute une vie au parcours éprouvant : le départ de Haran pour une terre inconnue, l’enlèvement par Pharaon puis par AbiméleH, et pire encore, le départ d’Isaac.

Le départ d’Isaac avec son père, sur ordre de « Dieu » est un épisode délicat et très discuté. Il s’agit d’un très beau passage (encore plus en hébreu) qui souligne la proximité entre le père et le fils, et leurs questionnements concernant la nature de leur voyage. Selon la tradition juive, ce voyage fut une épreuve, sans aucune intention de réellement sacrifier Isaac. La nature de cette épreuve est discutée: « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était bien prêt à tout lui sacrifier? Ou au contraire, « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était justement prêt à renoncer aux sacrifices humains fréquents à cette époque? Toujours est-il que cette épreuve subie conjointement par Abraham et Isaac a été vécue par Sarah dans la solitude. Son inquiétude fut telle que Sarah ne pût résister à l’angoisse qui la submergeât et qu’elle mourût.

Revenons à la destinée de Sarah. « Hayé Sarah » (חַיֵּי שָׂרָה), « la vie de Sarah », ou plutôt « les vies de Sarah », comme si Sarah avait eu plusieurs vies. Le mot « chana » (שָׁנָה), « année », est repris plusieurs fois, car dans la tradition juive le caractère sacré de la vie correspond au sacré de chacun de nos instants de vie, de chacune de nos années de vie.

La vie de Sarah fut parfaite. Sarah vécut 127 ans. « Les 3 vies » de Sarah furent de 100 ans, 20 ans et 7 ans. Cette façon de voir les choses signifie que Sarah fut admirable et irréprochable à 7 ans, à 20 ans, comme à 100 ans malgré ce qu’elle endurât. Sarah fut très belle aussi; ce qui provoqua quelques déboires lors de ses voyages avec Abraham, aussi belle à 100 ans qu’à 20 ans et à 7 ans.

Toujours d’après Rachi, l’expression « chné Hayé Sarah » (שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה), « les années de la vie de Sarah » est à souligner, car absolument toutes les années de la vie de Sarah sont à prendre en considération. Chacune de ces années fut imprégnée de sa bonté, de sa sagesse, de son aura.

Sarah fut la première des matriarches et patriarches à être inhumée à Hébron anciennement appelée Kiriath-Arba,  » la colline des quatre ». Effectivement, 4 couples fondateurs y sont enterrés : Adam et Ève (d’après la tradition), Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob et Léa.

L’année dernière, tout près d’Hébron, le Rabbin Arik Ascherman de l’association « Les Rabbins pour les droits de l’homme » a été attaqué au couteau alors qu’il défendait le droit des arabes palestiniens à la culture des oliviers. Hébron est actuellement un foyer de haine (comparable à la mésaventure de Caïn et Abel) où la coexistence est devenue extrêmement difficile.

La ville d’Hébron est âgée d’environ 4000 ans (période du bronze ancien). Hébron a été détruite une première fois il y a 3500 ans lors d’une invasion égyptienne, puis a été reconstruite, puis redétruite, puis reconstruite. Les Juifs en ont été chassés ou ont été tués. Des pogroms ont eu lieu en 1517, 1834, 1929…contre les Juifs qui sont quand même revenus. Malheureusement, en 1994 c’est un Juif, Baruch Goldstein, qui a tué 29 arabes palestiniens dans le Tombeau des Patriarches.

Aujourd’hui, Hébron est très loin d’être le lieu de paix dédié à Sarah. Cependant, il est important de mentionner qu’un Sage chrétien du 5° siècle disait qu’Hébron était, à cette époque, un lieu de fêtes estivales annuelles où se retrouvaient dans la joie, chrétiens, juifs et païens (l’Islam n’existait pas encore). Hébron garde son potentiel d’union, et le retrouvera peut-être un jour.

Rappelons-nous un passage de la Genèse qui cite l’Éternel [parlant à Abraham, le mari de Sarah] : « …et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre ». Rappelons-nous aussi, que selon le Midrach, Sarah a allaité tous les petits enfants présents au banquet donné en l’honneur d’Isaac, en signe de partage. À travers ces faits, mettons en avant les initiatives de paix de la population de l’état d’Israël. Des associations s’activent en ce sens : « Les Rabbins pour les droits de l’homme », « Les enfants pour la paix », etc… Mettre en avant les initiatives pacifistes, c’est leur donner plus de poids.

Évoquer Sarah nous fait songer à un monde sans violence

Le nom de l’association « Les enfants pour la paix » est très significatif. La meilleure façon d’épargner, de soutenir les enfants, de les inciter à rester en paix, qu’ils soient israéliens, palestiniens, de n’importe qu’elle religion ou nationalité, est de les faire se rencontrer et de leur confier la responsabilité de leur avenir. Ainsi, par eux-mêmes, ils deviendront tolérants, s’apprécieront, et seront heureux de construire ensemble un monde sans violence.

L’expression Hayé Sarah, « les vies de Sarah » au pluriel, symbolise notre capacité d’évolution vers un monde de paix en nous investissant, comme elle, dans cette direction, chaque minute, chaque journée, chaque année de notre vie.

Le Tombeau des Patriarches, où se trouve Sarah, peut encore être visité. Il matérialise le devoir de mémoire nécessaire à une projection vers un futur de paix. Un futur de paix où le sacrifice de nos enfants n’aura plus aucun sens.

Paracha Vayéra : es-tu le gardien de ta femme ?

Les personnes vivant en couple sont liées par une communauté de destin; ce qui implique un engagement consenti d’entraide et de solidarité entre elles.

Cet engagement ne doit pas se faire au détriment de la liberté individuelle compatible avec la vie de couple. D’autre part, il ne doit pas se pratiquer dans l’hypocrisie. L’entraide est une forme de générosité désintéressée qui respecte l’épanouissement des membres du couple.

La paracha Vayéra aborde le principe d’entraide et de solidarité dans le couple en nous dévoilant certains points des relations qu’entretiennent Abraham et Sarah. Les époux, comme les frères et sœurs, sont un peu responsables les uns des autres. Nous disons « tout Israël est garant l’un de l’autre ». Caïn a nié cette solidarité en tuant son frère, et en interpelant « Dieu »: « Suis-je la gardien de mon frère? ». Qu’en est-il dans notre paracha?  Abraham a-t-il été le gardien de sa femme, Sarah ?

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La paracha Vayéra du sefer Béréchit (Genèse) 18:1 à 22:24 et le couple Abraham-Sarah

Le couple Abraham-Sarah (qui, en début de paracha précédente, se nommait Abram-Saraï) doit retenir toute notre attention. Ce couple, par ses relations insolites, est un sujet de réflexion important sur la vie à deux.

Deux éléments de la vie de couple d’Abraham et de Sarah sont à relever.

~Premier élément : Abraham demande à Sarah de le protéger dans les situations périlleuses, pour cela, il faut qu’elle se présente comme sa sœur et non comme son épouse (ce qui est en partie vrai : Abraham et Sarah sont de même père, mais de mères différentes. Béréchit chap 20, verset 12).

Ce fut une première fois en Égypte (Paracha LèH LéHa), quand Abram prit conscience que Saraï était belle et attirante, et qu’il risquait d’être tué lors d’un éventuel rapt de Saraï.

Béréchit 12:11 à 12:13. Quand il fut sur le point d’arriver en Égypte, il dit à Saraï son épouse: « Certes, je sais que tu es une femme belle d’apparence…Il arrivera que lorsque les Égyptiens te verront, ils diront ‘c’est sa femme’, et ils me tueront, et ils te conserveront en vie…Dis, je te prie, que tu es ma sœur; et cela ira bien pour moi à cause de toi, car j’aurai grâce à toi la vie sauve. »

Ceci ce reproduit dans la paracha Vayéra avec AbiméleH, roi philistin de Guérar où Abraham souhaite résider.

Béréchit 20:1 à 20:2. Abraham quitta ce lieu pour le pays du Néguev; il s’établit entre Cadès et Chour et séjourna comme étranger à Guérar…Abraham disait de Sarah, sa femme, « Elle est ma sœur ». Là-dessus AbiméleH, roi de Guérar, envoya prendre Sarah.

Ici la solidarité s’exerce de façon surprenante, contraire à la logique et à la bienveillance. L’épouse se charge de protéger un mari qui ne se consacre pas vraiment à sa protection. En conséquence, Dieu intervient pour protéger lui-même Sarah. Et en acceptant de protéger Abraham, Sarah obtient la bénédiction divine sans l’avoir recherchée.

~Deuxième élément : Sarah se comporte de façon très discrète et effacée. Elle ne veut absolument pas se mettre en avant. Dans les versets suivants « Dieu » interpelle Abraham puis Sarah, par l’intermédiaire de 3 anges d’apparence humaine, pour annoncer qu’un fils naîtra prochainement de leur couple.

Béréchit 18:9 à 18:15. Ils lui dirent: « Où est Sarah, ta femme? » Il répondit: « Elle est ici, dans la tente »…L’un d’eux reprit: « Je reviendrai à toi l’année prochaine, à pareille époque et voici, un fils sera né à Sarah, ton épouse ». Or, Sarah écoutait à l’entrée de la tente qui se trouvait derrière lui…Mais, Abraham et Sarah étaient vieux, avancés en âge et les règles avaient cessé pour Sarah…Aussi, Sarah se mit-elle à rire en elle-même en disant: « Flétrie par l’âge, ce bonheur me serait-il réellement possible? D’ailleurs, mon époux est un vieillard. »..Alors, l’Éternel dit à Abraham: « Pourquoi Sarah a-t-elle ri en disant: est-ce-que vraiment j’enfanterai, âgée que je suis?..Est-il rien d’impossible à Dieu? Au temps fixé, à pareille époque, je te visiterai et Sarah aura un fils »…Mais Sarah se mit à nier en disant: « Je n’ai pas ri ». Elle avait peur. L’Éternel répondit à Sarah: « Mais si ! tu as bel et bien ri. »

Tout au long de ces versets, Sarah reste en arrière. Il lui semble naturel qu’Abraham, son époux, soit l’interlocuteur direct des anges envoyés par Dieu. Sarah fait preuve d’abnégation et d’humilité. Son rire discret n’est pas ironique, il traduit simplement sa surprise. De cette façon, Sarah manifeste aussi la négation de ses sentiments. Elle rit car elle a du mal à réaliser que l’Éternel puisse s’intéresser autant à elle. Cela lui semble inconcevable. Afin de dissiper le doute dans son esprit et l’encourager à s’affirmer, l’Éternel décide de s’adresser directement à elle. Sarah devient alors une personnalité du peuple hébreu à part entière.

En relatant ces faits, la Torah nous montre que l’entraide et la solidarité dans le couple ne sont pas univoques. Dans certains cas, il est tout à fait normal que la femme aide l’homme. Ce qui est conforme à la définition du terme « solidarité; » la solidarité impliquant l’interdépendance. Par ailleurs, la Torah aborde la libre expression des sentiments féminins en nous révélant une relation directe entre Dieu et Sarah en rapport avec ses pensées et ses sentiments. L’échange direct entre Dieu et Sarah sera mené à bonne fin, puisqu’un an plus tard, Isaac naîtra. Il aura donc également des répercussions positives sur la vie de couple et sur la vie familiale de nos ancêtres.

Béréchit 21:1 à 21:3. Et l’Éternel pensa à Sarah comme il l’avait dit et fit à Sarah ainsi qu’il l’avait annoncé…Sarah conçut et enfanta un fils à Abraham en sa vieillesse, au temps fixé dont Dieu lui avait parlé…Abraham nomma Isaac le fils qui venait de naître, que Sarah lui avait donné.

Interprétons bien le verset qui va suivre. Ce verset est l’expression directe des sentiments d’une femme, Sarah. Ce qui est rare dans la Torah.

Béréchit 21:6. Alors Sarah dit: « Dieu m’a préparé du rire et quiconque l’apprendra rira de moi. »

La maternité de Sarah, à un âge tardif, est un entremêlement de bonheur et de complexité. Sarah doit se montrer capable de prendre en charge son nouveau-né, en particulier de l’allaiter.

Béréchit 21:7. Elle dit encore « Qui aurait dit à Abraham que Sarah allaiterait véritablement des enfants, vu que je lui ai donné un fils en sa vieillesse? »

Sarah prend sa revanche sur la rumeur publique à double titre. Le Talmud Baba Metsia attire notre attention sur le mot « banim/enfants » (בָנִים) qui est un mot pluriel. L’explication de ce pluriel est la suivante : au cours du banquet donné en l’honneur d’Isaac, l’Éternel a produit l’irrationnel en faveur de Sarah. Toutes les mères présentes se sont soudainement trouvées incapables d’allaiter. Sarah, après sa longue incapacité en ce sens, a eu la grande joie de devoir se substituer à elles. Sarah a alors donné généreusement le sein à tous les bébés présents, des nourrissons aux enfants de 3 ans. Sarah a ainsi rayonné, aux yeux de tous, dans l’accomplissement de sa maternité.

Pour conclure : l’homme doit-il vraiment être le gardien de sa femme ?

En ce qui concerne le couple Abraham-Sarah, Abraham ne s’est pas comporté en gardien de sa femme. L’Éternel s’est substitué directement à lui en faisant de Sarah un personnage de premier plan, en élevant Sarah au statut de princesse et de matriarche du peuple hébreu.

Qu’en est-il aujourd’hui de nos relations de couple ? L’égalité et la solidarité homme/femme ont été instaurées dans notre société. L’homme et la femme, en fonction de leurs moyens, sont devenus réciproquement les gardiens l’un de l’autre, matériellement et moralement. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans le monde entier. N’est-ce-pas une injustice à résoudre ?

Paracha LèH LéHa : les voyages forment la Genèse !

Quelques mots à propos d’Abraham, le patriarche, qui se nommait alors Abram.

Il y a environ 3900 ans (datation soumise à discussion), Térah (תרח), descendant de Sem et père d’Abram (qui ne se nomme pas encore Abraham), regroupa sa famille et ses proches, dans la ville d’Ur en Chaldée (Mésopotamie). Puis l’ensemble du groupe prit la route pour des raisons non précisées, et s’établit à Haran, ville araméenne, où Térah mourut. Alors, Dieu se manifesta et demanda à Abram de conduire le groupe d’hébreux au pays qu’il lui avait choisi, la terre de Canaan.  Contrairement à l’idée reçue, Térah était donc l’initiateur du voyage familiale, interrompu en chemin.

La lecture de la paracha LèH LéHa qui conte cet épisode, nous conduit à évoquer les multiples voyages des hébreux ainsi que ceux, plus récents, du peuple juif; et à nous interroger aussi, sur l’expression « Juif errant ».

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha LèH LéHa du sefer Béréchit (Genèse) 12:1 à 17:27 et la mission confiée à Abram

Parfois nous avons besoin d’une impulsion, d’un élan pour nous décider à bouger, prendre des risques, nous investir dans un projet, affronter l’inconnu. Le nom de notre paracha, LèH LéHa, qui signifie « Va par toi-même » correspond au nom  que l’on pourrait donner en hébreu à cette impulsion.

Effectivement, l’Éternel s’adresse à Abram pour l’informer de sa mission et lui donner l’élan nécessaire à son accomplissement.

Béréchit 12:1. « Alors l’Éternel dit à Abram: « Va-t’en par toi-même de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père, vers la terre que je t’indiquerai . »

Dans ce type de situation, être soutenu a beaucoup d’importance. Ici, Abram a le privilège d’avoir la confiance et le soutien de Dieu pour se lancer.

Béréchit 12:2. « Je ferai de toi un grand peuple, et je te bénirai, et j’agrandirai ton nom, et tu seras une marque de bénédiction. »

Selon Rachi, le verset précédent est très parlant. Quiconque s’investit dans une mission difficile ou s’en va affronter l’inconnu prend des risques : ne pouvoir créer une famille avec une nombreuse progéniture, avoir des nécessités matérielles ou financières, se retrouver dans l’anonymat. À nous de bien connaître ces risques en de telles circonstances.

L’entreprise audacieuse d’Abram et Saraï, qui sont devenus Abraham et Sarah, est un événement à mettre en parallèle avec les risques pris par le peuple Juif tout au long de son histoire.

Le thème de la paracha est l’occasion de commenter l’expression « Juif errant ». Certains ont en eux une image déformée du peuple juif. Ils se le représentent comme un être égaré sur terre, ne sachant où aller, sans racine, se sentant partout en exil. C’est très loin de la vérité. En fait, cette expression fait référence à Caïn dans la Bible. Après qu’il eut tué son frère Abel, Dieu lui avait dit : «  Et bien, tu es maudit à cause de cette terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère… Lorsque tu cultiveras le sol, il cessera de t’offrir sa fécondité et tu seras errant et fugitif sur la Terre. »

Ainsi, ceux qui font l’amalgame, tentent d’associer les juifs à Caïn le meurtrier et non à Abraham le « passeur ». Cette vision est héritée d’une pensée heureusement remise en cause par le concile Vatican II. Certains d’entre nous ont encore le souvenir de cette époque.

De nombreux personnages bibliques ont suivi la voie ouverte par Abraham, fondateur du monothéisme. Ils sont surtout mentionnés dans les pages de la Genèse (Béréchit) et de l’Exode (Chemot). Parmi ceux qui ont suivi ce type de parcours, citons Rebecca, Jacob, Joseph et bien-sûr Moïse avec l’ensemble des enfants d’Israël. Nous pouvons mentionner également l’exil de Babylone et la dispersion des Juifs au cours de l’occupation Romaine.

L’apport des voyages aux enfants d’Israël

Le terme d’errance a une connotation morale, comme si les juifs avaient « perdu la boussole ». Certes les juifs ont été déportés et déplacés ou chassés de nombreuses fois, et ils ont également parfois choisi de voyager. Mais associer ces déplacements à un manque de qualités humaines n’est pas juste. A travers ces voyages, le peuple Juif est volontairement allé au contact des autres peuples. Il s’est enrichi culturellement, technologiquement et spirituellement de tous ses déplacements, de tous ses rapprochements avec les autres populations. Ces rapprochements  n’ont en rien altéré l’identité juive. Au contraire, ils l’ont enrichie au plus profond d’elle-même. L’identité juive en est devenue plus forte, plus sage, plus tolérante.

Pour faire le lien avec Abraham, citons un autre verset de la paracha le concernant :

Béréchit 12:3. « Je bénirai ceux qui te béniront, et ceux qui t’outrageront, je les maudirai; et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre. »

En 1999, Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions, a écrit un livre intitulé « Le pèlerin et le converti ». Cet auteur a beaucoup travaillé sur les problèmes de transmission, de conversion et de formation des identités religieuses. Elle suggère que nous entreprenions un voyage au fond de notre propre identité et que nous allions vers l’autre afin d’accéder à un enrichissement spirituel mutuel. Une autre forme de voyage.

Apprenons à tirer parti de tout type de voyage. Songeons souvent à celui d’Abram et Saraï.

Paracha NoaH : faut-il détruire l’humanité pour sauver le monde ?

Le personnage central de cette paracha est NoaH (Noé), figure légendaire de la tradition juive, reprise par la chrétienté et l’islam.

Qui n’a pas connaissance de l’histoire de l’arche de Noé ? Pourtant, cette semaine, l’histoire de l’arche de Noé ne sera pas précisément l’objet du commentaire de la paracha NoaH.

Notre propos portera essentiellement sur l’alliance que l’Éternel a institué avec NoaH. Une alliance qui eut pour principe majeur la deuxième création de l’humanité, pour les motifs que la Torah va nous dévoiler.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha NoaH du sefer Béréchit (Genèse) 6:9 à 11:32 et la décision de « re-créer » l’humanité pour sauver le monde

En quelques pages de la Torah, nous passons de la création du monde par l’Éternel qui a dit « cela est bon » (כִּי טוֹב), à l’Éternel qui a pris conscience d’avoir subi un échec le contraignant à détruire ce qu’il avait réalisé, pour tout recommencer.

Ceci, par la faute de l’Homme dont le comportement a été jugé intolérable et impossible à corriger par Dieu. Citons quelques phrases de la paracha précédente pour nous en rendre compte :

Béréchit 6:4 à 6:7. « Les nefilim (géants) parurent sur la Terre à cette époque et aussi depuis, lorsque les fils de Dieu se mêlaient aux filles des hommes et qu’elles leur donnaient des enfants…L’Éternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la Terre, et que le produit des pensées de son cœur était uniquement et constamment mauvais…l’Éternel se ravisa d’avoir créé l’homme sur la Terre, et il s’attrista en lui…Et l’Éternel dit: j’effacerai l’homme que j’ai créé sur la surface de la Terre, depuis l’homme jusqu’à l’animal terrestre, jusqu’aux créatures volantes des cieux, car je regrette de les avoir faits. »

La dépravation humaine était telle qu’elle semblait irrécupérable et avait même contaminé le règne animal. L’Éternel a dû prendre une décision très dure.

Béréchit 6:11 à 6:13. « Or, la Terre s’était dégradée devant Dieu, et elle s’était remplie de violence…Dieu considéra que la Terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la Terre…Et Dieu dit à Noé: la fin de toutes les créatures est arrivée à mes yeux, parce que la Terre, à cause d’elles, est remplie d’iniquité, et je vais les détruire avec la Terre. »

Dieu a pris la décision de supprimer toute créature vivante sur la Terre. Il s’est tourné vers NoaH (Noé), le considérant comme un homme juste, pour lui confier une mission (construction de l’arche, sauvegarde des espèces…).

La justification de cette décision divine s’est posée aux sages : Hillel, Chamaï et leurs écoles. Nous la retrouvons dans le Talmud Érouvin. Fallait-il créer l’Homme au moment de la création de l’univers ? L’école de Hillel a répondu positivement. L’école de Chamaï a répondu négativement. Hillel et Chamaï ont débattu de cette question pendant 2 ans et demi pour finir par dire non. Par la suite, la discussion a dérivé sur les mesures concrètes à prendre afin que l’humanité ne retombe jamais dans la violence et le chaos.

Cependant, une autre question s’est posée, celle de la clairvoyance divine. L’Éternel s’était-il trompé ? D’autant plus, qu’en créant l’Homme il avait créé le concept de liberté. Il est écrit clairement dans le chapitre 6 de la Genèse que l’Éternel s’était ravisé de ce qu’il avait accompli et qu’il en avait été attristé. Était-ce une attitude acceptable de la part de Dieu ? Ce qui semble une faiblesse du « dieu des juifs » n’allait-il pas être retourné comme un argument contre leur tradition?

Cette question s’est retournée contre le peuple juif. Un maître spirituel, Rabbi Yehoshua Ben KorHa a été pris à parti. Une personne lui a demandé comment le Dieu des Juifs, prétendument parfait, a pu commettre une pareille erreur et quelle crédibilité accorder à un tel Dieu ? Rabbi Yehoshua Ben KorHa a répondu ceci. « Tu as été très content quand ton fils est né, et pourtant tu savais qu’il allait mourir un jour, et que ce serait très triste. Et bien, il en a été de même pour Dieu en ce qui concerne la création de l’humanité. »

L’alliance NoaHide et la tradition juive

Les juifs érudits pensent que le terme « béréchit », traduit par « au commencement », a un deuxième sens. Béréchit se décompose en « bara » et « chit ». Ces 2 mots associés signifient « création des fondements ».

L’humanité a du subir une redéfinition. Dans un premier temps, Adam et Eve sont créés, ce sont eux qui seront la graine dont naitra toute l’humanité, ils devaient être le plus lointain embranchement des familles de l’humanité. Mais lorsque leurs enfants naissent, le drame de la violence apparait et Caïn tue son frère Abel. Dans un deuxième temps : Adam et Ève ont un autre enfant, Seth qui a pour descendant NoaH. Mais de nouveau, la violence se développe, l’humanité est détruite et NoaH en sera le seul rescapé. Ainsi, nous ne sommes descendants d’Adam et Eve que par une seule lignée, celle de NoaH, qui est ainsi notre ancêtre commun.

L’Éternel a établi une nouvelle alliance avec NoaH, une alliance universelle dotée de 7 lois, l’alliance NoaHide (ou NoaHique). Cette alliance est la marque d’un nouveau départ pour l’humanité.

 Béréchit 9:8 à 9:13. « Dieu dit à Noé et à ses fils: moi, je veux établir mon alliance avec vous et avec la postérité qui vous suivra…et avec toute créature vivante qui est avec vous, oiseaux, bétail, animaux des champs qui sont avec vous, tous les animaux qui sont sortis de l’arche…Je place mon arc-en-ciel dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la Terre. »

Cette histoire n’est pas juste une histoire du passé, elle s’invite régulièrement dans notre quotidien.

En effet, la tradition juive demande, chaque fois que nous apercevons un arc-en-ciel, de proclamer l’alliance NoaHide sous la forme de la bénédiction suivante :  » Tu  es source de bénédiction, Éternel notre Dieu, roi du monde, qui conserve ton alliance. « 

Pour conclure, citons le Midrach : une des raisons pour lesquels l’anéantissement n’a pas été total, lors du déluge, est qu’un des descendants de Noé est Abraham; Abraham, autre interlocuteur de Dieu, pour fonder une alliance encore plus précise, l’alliance Abrahamique.

Paracha Béréchit : avons-nous le choix ?

Nous reprenons la lecture de la Torah avec la première paracha de la Genèse, la paracha Béréchit.

La création du monde (il y a 5777 ans, selon la tradition juive) nous fait songer au principe du déterminisme. Ne sommes-nous que de simples pièces d’un système de causes et de conséquences ? Ne sommes-nous que des éléments de matière au sens des sciences exactes, sans pouvoir sur notre destinée ? Pour parler simplement, avons-nous le choix ?

La paracha Béréchit nous met sur la voie, en attirant notre attention sur les spécificités humaines en rapport avec cette problématique.

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La paracha Béréchit du sefer Béréchit (Genèse) 1:1 à 6:8 et la question du choix

Bien évidemment, aucun d’entre nous n’a été témoin de la création du monde. En revanche, nous avons tous une connaissance concrète de l’existence de la matière.

La question se pose, pour les rationalistes comme pour les mystiques, de savoir si l’être humain est totalement prisonnier du déterminisme (le principe de causalité), ou bien s’il dispose d’un degré de liberté dans le choix de sa destinée. Cependant, si nous bénéficions de ce degré de liberté, de quel type est la liaison entre notre liberté non matérielle et notre corps fait de matière.

La paracha Béréchit est le récit de la création de l’univers dans son ensemble. En fait, les premiers chapitres de cette paracha nous font des récits sensiblement différents de cet événement. À la question du choix qui pourrait être le nôtre, un élément de réponse est déjà donné par la structure même du texte de la paracha. La création de l’humanité est exposée de plusieurs façons. Libre à nous de choisir celle qui nous paraît nous représenter le mieux.

D’ailleurs, un principe philosophique consiste à définir la conscience comme la faculté qu’a l’être humain de se représenter ce qu’il est, de se regarder lui-même. De la sorte, nous existons en tant qu’objets et en tant que sujets capables d’examiner les objets que nous sommes.

Nous allons nous concentrer sur 2 récits de la paracha ayant pour objet la création du couple homme-femme et la connaissance du bien et du mal.

Récit du chapitre 1 :

Béréchit 1:27. « Et l’Éternel créa l’Homme à son image. À l’image de Dieu il le créa. Mâle et femelle furent créés à la fois. »

Adam harichon, le premier humain, a été créé. L’homme, Adam, et la femme, Ève, n’ont fait qu’un à la création. Peu après Ève a été dissociée d’Adam. Ce récit, qui a pour pivot le mot « bara » (בָּרָא), verbe de la création, est totalement égalitaire envers les 2 sexes.

Béréchit 1:29. « Dieu ajouta: voici que je vous accorde toute plante portant semence, sur toute la face de la terre, et tout arbre avec des fruits portant semence. Ils vous serviront de nourriture. »

Dans ce verset du chapitre 1, l’arbre de la connaissance du bien et du mal n’est pas mentionné. Les fruits de tous les arbres, sans exception, sont offerts à Adam et Ève.

Récit du chapitre 2 :

Béréchit 2:7. « Alors, l’Éternel, Dieu façonna l’Homme avec la poussière du sol et souffla dans ses narines le souffle de la vie, et l’Homme devint un être vivant. »

D’après ce texte, l’Homme a été construit par Dieu, et c’est un souffle de Dieu qui l’a rendu vivant. Un caractère divin est entré en l’Homme à sa création. L’Homme serait donc d’une double essence : essence matérielle avec son corps et essence divine avec la vie. Ainsi, par la volonté de Dieu, l’Homme s’est retrouvé doté de la raison, de la conscience, de la liberté de pensée et d’action .

Béréchit 2:16 à 2:17. « L’Éternel, Dieu donna un ordre à l’Homme, en disant: tous les arbres du jardin, tu peux t’en nourrir à satiété…Mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas: car du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. »

L’Homme s’est vu interdire la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Mais Dieu a rendu accessible à l’Homme ce fruit interdit, en l’investissant de la raison et de la liberté d’action. L’Homme s’est retrouvé délibérément soumis à la tentation par Dieu; Dieu qui avait planté l’arbre de la connaissance en plein milieu du jardin d’Éden.

Nous pouvons faire le parallèle avec un mythe antique de la connaissance, celui du vol par Prométhée du savoir des dieux. Après le vol, Prométhée a transmis le savoir des dieux aux hommes sous une forme dissimulée du feu sacré, en s’attirant les foudres de Zeus, le roi des dieux. Dans le récit de la Torah, c’est l’être humain lui-même, en tant que représentant de toute l’humanité, qui se saisit du savoir. Le savoir ne lui était pas caché, mais lui était rendu accessible par Dieu lui-même. Resterait à élucider la question de la transgression que représente l’accès au savoir, et qui est bien plus complexe qu’une simple interdiction.

La suite des événements se situe au chapitre 3 de la paracha :

Béréchit 3:6 à 3:7. « La femme jugea que l’arbre était bon pour la nourriture, qu’il était attrayant à la vue, précieux pour le savoir; elle cueillit de son fruit et en mangea; puis en donna à son mari, et il en mangea…Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent, et ils se rendirent compte  qu’ils étaient nus; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier, et s’en firent des pagnes. »

Ève a mis à profit la liberté accordée par l’Éternel pour transgresser son injonction et inviter Adam à la transgresser également. Le courroux de l’Éternel s’est alors exercé sur Ève et Adam :

Béréchit 3:16 à 3:19. « À la femme il a dit:..tu enfanteras dans la douleur; la passion t’attirera vers ton mari, et il te dominera…Et à l’homme il a dit:..c‘est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre d’où tu as été tiré: car poussière tu fus, et poussière tu redeviendras. »

Le message délivré par la paracha

Grâce au fruit de la connaissance, l’être humain est libre; à cause de ce fruit, il ne peut plus être éternel.

Ce qui permet à l’Homme de vivre libre est ce qui fait qu’il doit mourir.

La lecture de la paracha nous montre à quel point la liberté est précieuse et risquée. Adam et Ève ont pris le risque de la liberté. En conséquence de leur transgression, l’Homme est devenu mortel. Depuis, son éternité s’exerce par la continuité de l’espèce humaine : la naissance, l’existence, la reproduction, la transmission du savoir, la mort. La mort qui est la garantie d’un renouvellement permanent dans la continuité.

La liberté nous donne le choix de notre destinée de façon très relative. Elle ne nous offre aucune certitude. La liberté est d’une autre dimension que celle de l’espèce humaine, elle n’est pas du domaine de la causalité, elle peut nous dépasser. Nous devons la gouverner du mieux possible dans les choix qui se présentent à nous.

 

 

Paracha Vézot habéraHa : répétition ou renouveau ?

Que serait une vie uniforme et sans changement ? Que représente le changement dans notre existence ?

Nos caractéristiques physiques et intellectuelles d’êtres vivants changent, bien-sûr, avec l’âge. Le travail, l’habitat, la famille, les relations affectives et beaucoup d’autres facteurs induisent également des inflexions de notre parcours de vie.

Certains changements sont subis et d’autres voulus, certains apportent un renouveau conséquent et d’autres non. La constance et la répétition ont aussi leur part dans notre cheminement.

Penchons-nous sur le cas des enfants d’Israël à la fin de la Torah. Ils sont sur le point d’affronter un double changement qui va bouleverser leur existence : la disparition de Moïse et l’entrée en terre de Canaan. La paracha Vézot habéraHa met en lumière des points clés de cet événement.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vézot habéraHa du sefer Devarim (Deutéronome) 33:1 à 34:12

La paracha Vézot habéraHa est la dernière paracha de la Torah. (Elle est lue spécifiquement le jour de SimHat Torah.) « Vézot habéraHa » signifie « Et c’est la bénédiction ». Ainsi, la paracha débute par la bénédiction du peuple d’Israël par Moïse avant sa fin toute proche.

Devarim 33:1. « Or, voici la bénédiction dont Moïse, l’homme de Dieu, bénit les enfants d’Israël avant de mourir. »

Cette paracha marque un changement immense : Moïse va partir pour toujours. Ce changement, c’est la disparition d’un père spirituel aimé, la disparition d’un guide irremplaçable depuis la sortie d’Égypte jusqu’à l’arrivée aux frontières de la terre promise et depuis le don de la Torah. A ce moment, ceux qui vont entrer en terre de Canaan sont tous nés au cours des 40 ans de parcours dans le désert et n’ont connu qu’un seul guide, Moïse.

La séparation définitive entre le peuple d’Israël et Moïse est un véritable défi de renouveau. Dans le désert les enfants d’Israël étaient pris en charge par Moïse, ils recevaient la manne comme nourriture, leurs autres besoins matériels étaient toujours satisfaits, et comme la tradition le dit, « leurs vêtements et leurs chaussures ne s’usaient jamais ». Ils vont se retrouver seuls face à leur sort et en devenir responsables. Ils vont ressentir l’angoisse accompagnant tout changement de ce type.

La peur du changement est si forte, qu’à propos d’un verset de la paracha VayéleH, la tradition dit ceci : Moïse a dû, lui-même, partir à la recherche des membres de son peuple pour leur faire une importante déclaration. Les enfants d’Israël se tenaient alors volontairement éloignés de lui. Ils savaient que Moïse devait leur donner les 613 commandements de la Torah et ils n’en avaient reçu que 611. Afin de faire obstacle à sa mort, ils restaient loin de lui pour l’empêcher de leur remettre les 2 commandements manquants, comme il était obligé de le faire. Et pour remplir son devoir, Moïse a dû aller à leur rencontre.

Dans notre paracha, les enfants d’Israël sont contraints de faire leurs adieux à Moïse. C’est la fin d’une époque. Cependant, la continuité est assurée, car l’entrée en terre de Canaan est la réponse à une promesse faite par Dieu à Abraham, Isaac, Jacob, Sarah, Rebecca, Rachel et Léa au cours d’une autre époque.

Un élément de renouveau survient cependant :

Devarim 34:10. « Mais il n’a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moïse, avec qui l’Éternel communiquait face à face ».

Mais ne sautons pas le verset précédent qui reste dans la continuité :

Devarim 34:9. « Or, Josué, fils de Noun, était plein de l’esprit de sagesse, parce que Moïse lui avait imposé les mains; et les enfants d’Israël lui obéirent et agirent comme l’Éternel l’avait prescrit à Moïse. »

Le renouveau dans la continuité

Le renouveau et la répétition dans la continuité peuvent-être quasiment simultanés. Ainsi, lors de la fête de SimHat Torah, Béréchit s’enchaîne immédiatement après Vézot habéraHa. Ici le renouveau se fait dans la continuité. Tous les ans, nous accomplissons un saut dans l’histoire en revenant à la création du monde, au début de la Torah. Entre-temps nous avons acquis de nouvelles connaissances, de nouveaux éléments de sagesse et vécu de nouvelles expériences. Et là, le renouveau se trouve dans l’interprétation toujours actualisée des textes de la Torah.

Avant de conclure lisons le dernier verset de la paracha, donc de la Torah :

Devarim 34:12. « …ainsi qu’à cette main puissante, et à toutes ces imposantes merveilles, que Moïse accomplit aux yeux de tout Israël ».

« Tout Israël » est encore une fois évoqué. A noter le lien entre le « lamed » final d’Israël (יִשְׂרָאֵל) et le « beit » du début de Béréchit (בְּרֵאשִׁית). Ces 2 lettres associées forment le mot « Lev » (לב) qui signifie « cœur ».

Donc, du fond de notre cœur, identifions et choisissons nous-mêmes ce qui est rupture et ce qui est continuité au seuil de la nouvelle année. Mettons en œuvre notre liberté de voir le monde à notre gré. Nous ne sommes pas toujours pleinement conscients de l’étendue de nos possibilités, ne restons pas prisonniers de nos limitations. Répétition ou renouveau dans notre vie ? La liberté est un capital que nous voulons investir en connaissance de cause.