Paracha Ekev : à quoi ça nous sert d’être honnête ?

Selon Jean Piaget (1896-1980), théoricien de la psychologie du développement, l’enfant se développe en explorant le monde. L’enfant se livre spontanément à des tentatives qui réussissent ou échouent. Il en déduit de lui-même ce qu’il faut faire et ne pas faire.

Il en est de même pour nous. Parfois, notre réussite relève de circonstances hasardeuses. Nous nous posons alors une question déterminante pour l’avenir : à quels actes, à quels facteurs devons-nous attribuer cette réussite ?

D’autres questions s’enchaînent : en pratique, comment faut-il s’y prendre pour être sûr de réussir ? Bien agir ou bien se comporter permet-il de toujours réussir ? Faut-il être parfaitement honnête pour réussir ? Ne peut-on pas tricher un peu ? Comment faire pour pérenniser notre réussite ? Comment faire pour que la réussite se transforme en bonheur ?

Notre paracha semble nous promettre la réussite si nous obéissons aux injonctions divines. Qu’est-ce que cela peut bien signifier?

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Ekev du sefer Devarim (7:12 à 11:25) nous parles des principes du bien agir et de la recherche du bonheur 

Ekev (עקב), second mot de la paracha, signifie « en raison de » et indique une causalité.

Devarim 7:12 à 7:15. « En raison de votre obéissance à ces lois et de votre fidélité à les accomplir, l’Éternel, votre Dieu, sera fidèle au pacte de bienveillance qu’il a juré à vos pères… Il t’aimera, te bénira, te multipliera, il bénira le fruit de tes entrailles et le fruit de ton sol…dans le pays qu’il a juré à tes pères de te donner. Tu seras béni entre tous les peuples…L’Éternel écartera de toi tout fléau… »

Moïse poursuit ses déclarations aux enfants d’Israël : ceux-ci doivent être totalement et à jamais fidèles à l’alliance contractée avec Dieu. En conséquence de cela, tout se passera bien pour eux et leur avenir sera assuré.

Le fait que tout acte ait des conséquences est une notion capitale. Cette notion est en relation avec l’idée de justice immanente : si nous agissons bien ou mal, nous sommes récompensés ou punis à coup sûr. Elle est également en relation avec le concept du karma, le karma étant constitué à travers l’ensemble de nos actes prêtant à conséquences, actes passés, actuels et futurs.

Sur ce plan, tout n’est pas aussi simple. Parfois, nous nous comportons bien moralement, nous accomplissons de notre mieux certains actes, et les conséquences positives de nos actes ne sont pas au rendez-vous. Pourquoi en est-il ainsi ?

Nous sommes en droit de nous poser cette question. Moïse l’a posée à l’Éternel (Elle est citée dans un midrach du Traité BraHot du talmud) :  » Comment se fait-il que des personnes justes échouent alors que des personnes se comportant mal réussissent ?  » Cette anomalie apparente se retrouve dans le Livre de Job : Job est une personne juste et il lui arrive néanmoins les pires ennuis.

Afin de clarifier ce problème, analysons le principe de récompense du « bien agir ». Raisonnons de façon statistique : les conséquences de nos bonnes actions ne sont pas positives en permanence, dans certains cas elles sont négatives (la justice n’est pas totalement immanente). C’est la tendance moyenne qui est à prendre en considération. Si de façon constante nous agissons bien, la moyenne des conséquences à long terme est nettement positive et le bonheur commence à transparaître. Des fruits commencent à naître de ce que nous avons planté et, en un temps ultérieur, le bonheur durable s’établit.

Le thème de la continuité (fidélité) dans la conduite à tenir, est traité dans la paracha :

Devarim 8:6. « Et tu devras toujours garder les commandements de l’Éternel, ton Dieu, en marchant dans ses voies et en le révérant. »

En pratique, comment assurer cette continuité ?

Devarim 8:18. « C’est de l’Éternel, ton Dieu, que tu dois te souvenir, car c’est lui qui t’aura donné la force d’arriver [dans la continuité] à cette prospérité. »

Pour réussir véritablement, il nous faut respecter en permanence la ligne de conduite dans laquelle nous nous sommes engagés. Malgré tout, des échecs occasionnels surviendront, les aléas de la vie nous feront douter.

Nous ne devons pas tomber dans le piège des succès occasionnels qui nous feront magnifier des qualités superficielles ou factices, ne croire qu’en nous, et nous pousseront à abandonner nos engagements.

(Un exemple très prosaïque : nous commettons un petit vol dans un supermarché sans nous faire arrêter. Nous avons ainsi réussi à gagner quelque chose en nous étant mal conduits. Dans ce cas, allons-nous attribuer cette réussite à notre maigre talent de voleur à la sauvette, ou bien allons nous faire amende honorable et vite revenir sur la ligne du véritable succès ?)

La paracha nous met en garde en évoquant l’idolâtrie :

Devarim 8:19. « Et, si jamais vous oubliez l’Éternel, votre Dieu, si vous vous attachez à des dieux étrangers, que vous les servez et que vous leur rendez hommage, je vous le déclare en ce jour, vous périrez! »

Question cruciale : en pratique, comment rester fidèles à nos engagements à long terme ? Comment surmonter les accidents de parcours ?

Il est nécessaire d’appartenir à un groupe humain soudé pour permettre au long terme d’exister. C’est notre cas : nous ne sommes pas des individus isolés, nous sommes membres d’un peuple dont nous partageons les valeurs fondamentales. De génération en génération, nous restons intégrés à ce peuple.

Si la réalité des événements n’est pas à même de nous montrer que nous sommes sur la bonne voie, la tradition de solidarité et d’entraide  de notre peuple se charge, sur le moment, de nous le montrer à sa place. De la sorte, cela nous aura servi d’être honnête aux yeux de notre peuple.

Que notre recherche éthique nous soit au maximum source de bonheur!

 

Paracha VaétHanan : 10 commandements – à chacun sa version !

Le sefer Devarim (le Deutéronome) est le livre de la répétition. Son contenu, selon la tradition, a été énoncé par Moïse durant les 37 derniers jours de sa vie, peu de temps avant l’entrée du peuple hébreu en terre de Canaan.

Moïse s’exprime face aux enfants d’Israël. Il révèle les fondements de leur alliance avec Dieu à la nouvelle génération, il leur raconte les péripéties de l’épopée de leurs pères. Le rapprochement du sefer Chemot (l’Exode) et du sefer Devarim (le Deutéronome) dévoile des différences textuelles. Que certains événements et propos soient présentés de manière sensiblement différente nous interpelle.

Dans la Torah, il y aurait donc plusieurs façons, cohérentes mais quand même différentes, de traiter les mêmes sujets ? La paracha VaétHanan en est un extrait représentatif.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

Ce que nous dit la paracha VaétHanan du sefer Devarim (3:23 à 7:11)

Devarim 5:1 à 5:3. « Moïse fit appel à tout Israël, et dit: Ecoute, Israël, les lois et les statuts que je vous fais entendre aujourd’hui; étudiez les et appliquez vous à les suivre. L’Éternel, notre Dieu, a contracté avec nous une alliance en Horeb. Ce n’est pas avec nos pères que l’Éternel a contracté cette alliance, c’est avec nous-mêmes, nous qui sommes ici, aujourd’hui, tous vivants. »

Moïse rappelle aux enfants d’Israël leur engagement dans l’alliance; puis leur remet en mémoire les 10 paroles, (nommées également 10 commandements), en particulier le commandement du chabbat.

Devarim 5:11 à 5:14. « Observe le jour du chabbat pour le sanctifier, comme te l’a prescrit l’Éternel, ton Dieu. Durant six jours tu travailleras et t’occuperas de toutes tes affaires; mais le septième jour est la trêve de l’Éternel, ton Dieu. Tu n’y feras aucun travail, toi, ton fils ni ta fille, ni ton esclave mâle ou femelle, ton bœuf, ton âne, ni tes autres bêtes, non plus que l’étranger qui est dans tes murs; car ton serviteur et ta servante doivent se reposer comme toi. Et tu te souviendras que tu fus esclave au pays d’Égypte, et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a fait sortir d’une main puissante et d’un bras étendu; c’est pourquoi l’Éternel, ton Dieu, t’a prescrit d’observer le jour du chabbat. »

Le commandement du chabbat est intéressant car il est présenté sous 2 versions.

Parlons, pour commencer, du cantique du chabbat, LeHa dodi : « Chamor (observe) et zaHor (souviens-toi) ne sont qu’une seule parole, que nous fit entendre Dieu… » Chamor et zaHor sont des termes extraits de la Torah. Véritablement, Dieu a t-t’il dit « chamor » ou bien a-t’il dit « zaHor » ? Pourquoi deux versions différentes dans ces deux livres de notre Torah ?

Continuons sur le thème du chabbat. La version de l’Exode est la suivante : il faut respecter le chabbat car Dieu a créé le monde en 6 jours et s’est reposé le 7ième jour. La version du Deutéronome est : « Observe le jour du chabbat…tu n’y feras aucun travail, toi, ton fils ni ta fille, ni ton esclave mâle ou femelle…car ton serviteur et ta servante doivent se reposer comme toi. » Par ailleurs, la version du Deutéronome rappelle au peuple l’esclavage en Égypte. Ce rappel est absent dans la version de l’Exode.

Ensuite, la paracha devient une paracha pédagogique. Moïse donne une succession d’instructions  et de conseils précis au peuple d’Israël. Y est inséré un sermon qui deviendra le Chema Israël.

Devarim 6:4 à 6:9. « Écoute, Israël: l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un ! Tu aimeras l’Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur…Ces devoirs que je t’impose aujourd’hui seront gravés dans ton cœur… Tu les inscriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes. »

Dans la haggada de PessaH, quatre enfants posent des questions à propos du Seder. Ces quatre enfants ont des personnalités différentes: l’un est « sage », l’autre « rebelle », le troisième est « simple » et le quatrième est « celui qui ne sait pas poser les questions ». La question de l’enfant « sage » est la suivante : « Quels sont ces statuts, ces lois, ces commandements que votre Dieu vous a imposés ? » La même question se trouve telle qu’elle dans la paracha VaétHanan :

Devarim 6:20 à 6:21. « Quand ton fils t’interrogera un jour, disant: Qu’est-ce que ces statuts, ces lois, ces commandements, que l’Éternel, notre Dieu, vous a imposés? Tu répondras à ton fils: Nous étions asservis à Pharaon, en Égypte, et l’Éternel nous en fit sortir d’une main puissante. »

La valeur spirituelle et sociale des 10 commandements (les 10 « paroles »)

Les 10 commandements sont la base spirituelle de la religion juive et sont le noyau de son code moral et rituel. A savoir que le christianisme et l’islam leur accordent beaucoup d’importance, mais ne les considèrent pas comme un fondement religieux.

Cependant, les 10 commandements ont étés repris par une grande part de l’humanité comme commandements universels. Ils ont inspiré les législateurs et sont à l’origine de nombreuses règles de vie en collectivité. De façon générale, leur valeur sociétale a pris le pas sur leur valeur religieuse.

A chacun sa version ?

La paracha VaétHanan nous incite à nous poser beaucoup de questions concernant la Torah. Pourquoi ces différences d’un sefer (livre) à l’autre ? Quelle est la version à retenir ? Les différentes versions sont-t-elles compatibles ? La vérité est-elle dans le texte ? La Torah a-t-elle eu un seul ou plusieurs auteurs ? Est-ce une évolution normale et logique de l’écriture de la Torah dans le temps ?

A deux moments différents de l’histoire du peuple, les dix commandements sont exprimés de façons différentes. Au moment de la sortie d’Egypte, on insiste sur le rappel de la création du monde, et au moment de l’entrée en Canaan, on insiste sur la mention de la sortie d’Egypte. Ainsi, ces deux événements fondamentaux sont tous deux représentés par notre pratique du chabbat. le « Chamor » et le « ZaHor » sont tous deux nécessaires et complémentaires. La raison « divine » ( Dieu s’est arrêté le 7e jour) et la raison « sociale » ( tes employés doivent se reposer un jour par semaine) du chabbat sont toutes deux exprimées.

Le traité Erouvin du Talmud nous aide à conclure : « Ces paroles ci, comme ces paroles là, sont les paroles du Dieu vivant. »

Les différentes versions, d’un livre à l’autre, seraient donc toutes vraies. Elles seraient là pour nous pousser à la réflexion, nous permettre d’identifier les messages transmis par la Torah et de bien comprendre le sens de ces messages.

 

 

 

 

 

Paracha Devarim : répéter, c’est recréer

Répéter ce que l’on dit clairement devrait être inutile. Et pourtant c’est souvent nécessaire pour être écouté et pour se faire comprendre. Le comportement humain en veut ainsi.

Il est souvent nécessaire de répéter, sous différentes formes adaptées aux différentes situations. Cette pratique s’applique aujourd’hui à la formation, au commerce, à l’éducation, au management… La recherche de l’intérêt, de la compréhension et de l’approbation a besoin de la répétition, sous différentes formes, suivant un fil conducteur unique. Ce principe s’applique-t-il à la tradition juive ?  Que signifie la répétition dans le Judaïsme? Pourquoi Moïse répète-t-il la Torah dans ce dernier livre, qui se nomme « les paroles » en hébreu et « répétition de la loi » (Deutéronome) en Français?

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Le sens de la paracha Devarim du sefer Devarim (1:1 à 3:22)

Le sens de la paracha Devarim est justement la répétition indispensable. La version francisée de Devarim est Deutéronome (deutero nomos) qui signifie « répétition de la loi ». Cette formule nous laisse imaginer une loi solidement ancrée, écrite dans le marbre, que l’on devrait répéter jusqu’à ce quelle soit gravée dans notre cerveau. Le terme hébreu Devarim est beaucoup plus plaisant. Il se traduit par « les paroles » et également par « les choses ». Devarim est un terme très ouvert qui laisse la place à des messages de rigueur autant qu’à des messages d’amour ou d’encouragement agréables à entendre.

D’où vient ce besoin de répétition inscrit dans le Deutéronome ? Des passages de la paracha nous mettent sur la voie.

Devarim 1:3. « Or, ce fut dans la quarantième année, le onzième mois, le premier jour du mois, que Moïse redit aux enfants d’Israël tout ce que l’Éternel lui avait ordonné à leur égard. »

Devarim 1:5 à 1:7. « En deçà du Jourdain, dans le pays de Moab, Moïse se mit en devoir d’exposer ce commandement, et il dit: L’Éternel notre Dieu nous avait parlé en Horeb en ces termes: Assez longtemps vous êtes demeurés dans cette montagne. Partez, poursuivez votre marche, dirigez-vous vers les monts amoréens et les contrées voisines, vers la plaine, la montagne, la vallée, la région méridionale, les côtes de la mer, le pays des Cananéens… »

Quelle est la raison de la répétition, par Moïse aux enfants d’Israël, de cette injonction d’entrer en terre de Canaan ? Moïse s’adresse à une nouvelle génération d’enfants d’Israël. L’entrée en terre de Canaan avait été interdite à la génération précédente car elle avait manifesté sa faiblesse par son refus d’y entrer, suite au rapport décourageant des éclaireurs (les explorateurs) envoyés en reconnaissance. Moïse doit donc tout répéter à cette nouvelle génération.

Quoi qu’il en soit, cette répétition est indispensable : les hébreux qui sont sur le point d’entrer en terre de Canaan sont les descendants des hébreux qui ont quitté l’Égypte. Pour la plupart, ceux-ci ne sont déjà plus de ce monde.

Répéter c’est recréer

Pour Sigmund Freud, le souvenir d’un événement n’est pas le reflet exact de cet événement enfoui dans la mémoire depuis longtemps. Tobie Nathan, professeur de psychologie contemporain, rajoute que l’acte de mémoire est, à vrai dire, un acte de création. Par exemple, le souvenir d’un épisode douloureux de notre vie peut nous faire du bien et nous remplir de fierté; tout simplement parce que nous avons réussi à le surmonter et à le surpasser. Ce sentiment de fierté était totalement absent lors de l’événement. C’est la réminiscence (la répétition virtuelle) de cet événement qui l’a créé.

Revenons à la tradition juive. L’alliance avec Dieu se répète, se renouvelle depuis Abraham, pas tout à fait à l’identique. Nous pouvons discerner divers types d’alliances et de révélations qui se succèdent de génération en génération, d’abord d’Abraham à Isaac, puis d’Isaac à Jacob. Plus tard Moïse sera l’interlocuteur de Dieu pour une alliance renouvelée; plus tard encore, ce sera la mission d’Ezra après le retour de l’exil à Babylone.

Le roi Josias (639 à 609 av.JC) et le grand prêtre Hilkiyahou sont à citer. Ce sont eux qui ont redécouvert le sefer Devarim au cours de la remise en état du Temple de Salomon. De la sorte, ils ont redécouvert la Torah dans sa totalité. Le roi Josias organisera peu après une lecture publique de la Torah à l’attention du peuple, pour que celui-ci renoue avec la spiritualité du Judaïsme. L’alliance aura ainsi été renouvelée. L’expression « répéter c’est recréer » s’applique tout à fait à cet événement.

La répétition de la lecture de la Torah et son apport à notre vie

Traditionnellement nous répétons le texte de la Torah chaque année, paracha après paracha, semaine après semaine. La lecture de la Torah se termine et recommence avec la fête annuelle de SimHat Torah (« joie de la Torah ») célébrée à la synagogue.

Cette lecture de la Torah fait resurgir des épisodes du passé, exacts ou inexacts historiquement, mais fondateurs. Ces épisodes, par la relecture, et la réinterprétation prennent une existence nouvelle. La Torah n’est pas un « nomos » contrairement à ce que laisse entendre l’expression en français « Deutéronome ». Plus qu’une loi, elle est un enseignement sans cesse renouvelé. A chaque lecture quelque chose de nouveau est créé.

Quant à nous-mêmes, chaque fois que nous évoquons les événements de notre passé, nous leur donnons une apparence nouvelle (nous créons, comme dirait Tobie Nathan). Cela nous stimule et nous empêche d’être entravés par ce passé. Rajoutons que dans la tradition juive, la téchouva, par la repentance et l’engagement, nous aide à aller toujours de l’avant en tant qu’individu et plus largement en tant que peuple.